Le professeur André Bernanose
(Nancy, 1912-2002),
un des pionniers de l’électroluminescence
Le professeur André Bernanose était un homme modeste et discret. Quand j’étais étudiant et qu’il nous enseignait la physique et surtout l’optique, nous ignorions quelles recherches étaient menées dans son laboratoire. Il est vrai qu’il était doyen, que le laboratoire était à l’extrémité du bâtiment et que nous n’avions pas à aller de ce côté-là, les travaux pratiques de physique se trouvant de l’autre côté du long couloir du sous-sol. M’intéressant à l’histoire de la faculté, je savais qu’il avait travaillé sur la luminescence. Mais c’est très récemment que le hasard d’une recherche sur internet m’a livré la présence de son nom à propos du sigle OLED. Bien sûr, à son époque, dans les années 1970, cela « n’existait pas », au moins pour nous.
André Bernanose naît à Nancy le 17 juin 1912. Son père est entrepreneur de travaux publics au sein de la société Bernanose et Lommée. A l’issue de ses études secondaires au lycée Henri-Poincaré, il effectue ses études supérieures à l’Ecole centrale des Arts et Manufactures dont il est diplômé en 1934. Après son service militaire dans l’artillerie anti-aérienne, il poursuit ses études à Nancy et obtient une licence ès-sciences physiques puis un diplôme d’études supérieures. Son but est d’entrer dans l’enseignement supérieur. Mobilisé en 1939, il a la chance d’échapper à la captivité en mai-juin 1940 et de pouvoir revenir à Nancy au cours de l’été.
Il entre dans l’enseignement secondaire en octobre 1940 en devenant professeur délégué, d’abord à Nancy (1940-1941) puis à Lunéville (1941-1942). Reçu au concours de l’agrégation de sciences physiques en 1941, son premier emploi d’agrégé se trouve au lycée d’Epinal en 1942-1943, auquel succède le lycée Henri-Poincaré de Nancy jusqu’en 1945. Il change une nouvelle fois d’orientation pour se rapprocher de l’enseignement supérieur en demandant son détachement au CNRS, d’abord en qualité de boursier puis d’attaché de recherche, ceci jusqu’en 1948. Cette affectation le conduit à réaliser son souhait : entrer dans l’enseignement supérieur. Le choix de la pharmacie est lié au fait qu’il connaît le professeur Donzelot.
Paul Donzelot, qui va effectuer une très grande carrière universitaire et administrative, principalement à Nancy et à Paris, est d’abord, à partir de 1934, assistant chargé des travaux pratiques et du cours de physique à la Faculté de pharmacie de Nancy (P. Labrude, Les « années pharmaceutiques » du professeur Pierre Donzelot (Besançon, Nancy, 1925-1947), Revue d’histoire de la pharmacie, 1998, n°319, p. 293-302). Dans les caves du bâtiment de la faculté, rue de la Ravinelle, il construit différents appareils qui sont nécessaires aux besoins de ses travaux, dont un spectromètre Raman, et il fait de l’emploi de ces appareils et des spectres qu’ils produisent le sujet de sa thèse de doctorat ès-sciences physiques. Il devient ensuite professeur. Il sera ultérieurement directeur d’une école d’ingénieurs à Nancy, maire de la ville à la Libération, recteur, directeur au ministère de l’Education nationale et professeur au Muséum national d’histoire naturelle.
André Bernanose entre à la Faculté de pharmacie de Nancy en 1948. Après avoir soutenu cette année là, sa thèse de doctorat, consacrée à la chimiluminescence, il est nommé chef des travaux pratiques de physique, et, en 1949, il est chargé du cours. Il effectue ses études de pharmacie à Nancy et il est diplômé en 1953. Après avoir assuré le service d’une maîtrise de conférences de sciences physiques en 1955, il est nommé professeur titulaire de la chaire de physique à la création de celle-ci en 1957. Enfin, il est doyen de la faculté de 1961 à 1969. C’est donc lui qui subit le choc, assez modeste à Nancy, des évènements dits « de Mai » !
Le professeur Bernanose consacre ses recherches à la luminescence des composés organiques et à des réflexions théoriques sur la pharmacie et la pharmacologie. Pour l’histoire des sciences, il est l’inventeur de l’électroluminescence et considéré comme le père de la diode électroluminescente organique (OLED). Des éléments sur cette paternité sont disponibles sur internet. Ses réflexions sont consacrées aux possibilités d’application des sciences physico-chimiques à la pharmacologie, et plus généralement aux sciences pharmaceutiques. Lui-même et les membres de son laboratoire consacrent à ce thème une part notable de leur activité, et c’est dans ce sens qu’une maîtrise de conférences de « mathématiques appliquées à la pharmacie » est créée à la faculté. Cet emploi a aussi en partie pour raison d’être l’existence d’un enseignement de mathématiques en première année dans le cadre de la réforme des études de 1964. Avant d’être occupée par un maître de conférences recruté par le concours d’agrégation de pharmacie, l’enseignement est effectué par un chargé de cours issu de la Faculté des sciences ; c’est le gendre du professeur Donzelot. Le professeur Bernanose avait pour projet la création à la faculté d’un institut de biophysique qui aurait reçu pour nom : « institut de pharmacologie théorique et appliquée ». Ses pensées à ce sujet doivent pouvoir se retrouver dans des revues pharmaceutiques aujourd’hui disparues, comme Labo-Pharma Problèmes et techniques.
Etant doyen au moment de la réforme des études mise en oeuvre en 1964, André Bernanose est confronté aux nécessités d’adaptation des bâtiments, qui pourtant ne sont pas très anciens, et des structures, avec les nouveaux programmes et avec l’accroissement du nombre des étudiants, qui n’a pas attendu l’afflux qui a suivi les événements de 1968. En raison de la création de nouveaux travaux pratiques et surtout de mise en place de travaux dirigés avec des groupes pas trop importants d’étudiants, il faut créer de nouvelles salles d’enseignement, ce qui conduit à une surélévation des bâtiments, qui est limitée par la nature des terrains sur lesquels s’élève la faculté. Il est également nécessaire de créer une bibliothèque pour les étudiants. Ceci est d’abord obtenu dans des conditions assez sommaires à l’aide d’un bâtiment préfabriqué issu de l’enseignement secondaire et comportant deux salles (de classes), édifié sur un terrain vague au coin de la rue Albert-Lebrun… Il faut aussi, pour accompagner tout cela, obtenir la création d’emplois pédagogiques et techniques. J’ai eu l’occasion de voir les plans d’une vaste extension de la faculté sur le terrain vague précité. Ce projet, qui n’a pas conduit à une réalisation, datait-il de cette période ?
Il ne faut pas oublier un autre aspect de l’oeuvre du doyen Bernanose, c’est la création du certificat d’audioprothèse, qui n’a pas à l’origine rang de diplôme et dont l’enseignement ne dure pas trois années comme actuellement. En arrivant à la faculté, le professeur Bernanose a connu les certificats d’optique et d’acoustique qui étaient alors délivrés par les établissements d’enseignement supérieur pharmaceutique. C’est dans ce contexte des activités spécialisées de l’officine que s’inscrit la création d’un tel enseignement en 1967. Si Nancy n’est pas le plus ancien des sept centres d’enseignement qui existent actuellement dans notre pays, il est sûrement l’un des plus anciens. Au départ de M. Bernanose, ce sont ses anciens collaborateurs, les professeurs Pierre Dixneuf et Chantal Goulon, qui lui succèdent. En cette année 2019, la faculté commémore le cinquantenaire de la création de cet enseignement.
Le professeur Bernanose fait valoir ses droits à la retraite le 1er octobre 1979. Il se retire à Nancy où il meurt le 18 mars 2002. Il était chevalier de la Légion d’honneur, officier de l’Ordre national du Mérite et commandeur des Palmes académiques. Une salle de travaux dirigé, proche de son ancien laboratoire, a porté son nom rue Albert-Lebrun jusqu’au déménagement de la faculté vers le campus santé de Brabois au cours de l’été 2018.
Pierre Labrude
janvier 2019