Jules Bouis (1822-1886)
« La chimie française, si cruellement éprouvée depuis quelques années, vient de faire une nouvelle et douloureuse perte : Jules Bouis, membre de l’Académie de médecine et professeur à l’École de Pharmacie, est mort presque subitement le 21 octobre (1886), laissant une œuvre importante que sa grande modestie plaçait trop volontiers dans l’ombre, mais que nous avons le devoir de rappeler devant cette tombe si prématurément ouverte.
Né à Perpignan en 1822, Bouis commença ses études scientifiques à Montpellier ; puis il vint à Paris, où son illustre compatriote Arago demanda à Dumas de l’admettre dans son laboratoire particulier. De nombreux et intéressants travaux justifièrent bientôt cette faveur, alors si enviée de tous les jeunes chimistes. Nous ne pouvons mentionner tous les mémoires qui se succédèrent ainsi rapidement dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences et dans les Annales de physique et de chimie ; les premiers furent consacrés à divers sujets : électrolysation, action du chlore sur le cyanure de mercure, radicaux métalliques, etc. ; puis parurent d’importants travaux sur les corps gras et les eaux minérales. Dans la première série, il faut mentionner la découverte de l’alcool caprylique, l’étude chimique de l’huile de médicinier, de l’huile de ricin, de la stéarine végétale, etc. ; enfin, une remarquable théorie de la saponification dont l’application permit de transformer économiquement les matières grasses neutres en acide gras. Les recherches relatives aux eaux minérales ne furent pas moins fécondes : la découverte de l’acide borique dans les eaux d’Olette, les études sur la barégine, sur les produits de décomposition des roches, sur les eaux sulfureuses, sur la présence de l’ammoniaque dans diverses eaux thermales en témoignent suffisamment. Ce fut au cours de cette longue suite de recherches que Bouis fut conduit à établir définitivement, par d’ingénieux procédés, la présence de l’iode dans l’air.
Les travaux du laboratoire n’absorbaient pas tous les instants de Bouis ; depuis longtemps déjà, il appartenait au haut enseignement : répétiteur, puis professeur à l’École centrale, il avait été nommé, au concours, agrégé de chimie à l’École supérieure de pharmacie et appelé en 1868 à la chaire de toxicologie de cette école ; ses élèves n’oublieront pas ses leçons si riches en faits nouveaux et brillamment exposés. En 1878, il entra à l’Académie de médecine auprès de laquelle il remplissait, depuis longtemps déjà, les délicates fonctions de chef des travaux chimiques.
Dans le laboratoire de l’Académie, comme dans celui de l’hôtel des monnaies, comme dans les chaires de l’École centrale et de l’École de pharmacie, il ne cessa de montrer un rare talent d’expérimentateur, que Dumas se plaisait à citer souvent et qui li permettait de poursuivre, aussi facilement que sûrement, les analyses les plus difficiles.
Lié d’une étroite amitié avec Würtz, dont il fut le dévoué collaborateur dans la rédaction du grand Dictionnaire de chimie, Bouis a pris une large part au mouvement qui a déterminé l’évolution de la chimie organique et transformé ses méthodes. Les qualités de l’homme étaient à la hauteur de celle du savant : d’une constante aménité, d’une extrême modestie, il ne comptait que des amis parmi ses collègues et ses élèves qui conserveront toujours son cher souvenir.
L’Université a tenu justement à entourer d’un éclat exceptionnel les obsèques de Bouis ; de tels hommes honorent, en effet, la science et l’enseignement national.
(Source : Revue scientifique, 1886)